Mon été cet année était différent.
Je n’ai pas fait de voyage au Brésil, je n’ai pas vu ma famille, je me suis (re)mise à la peinture et à l’écriture, j’ai eu 40 ans, il n’a pas fait très beau. Mais certainement ce qu’il y avait de plus différent, c’était moi. J’étais différente car cet été, j’ai décidé d’être heureuse.
Tous les ans je procrastine la préparation de la rentrée, et tous les ans j’angoisse et je culpabilise jusqu’au dernier jour des vacances, sans savourer pleinement mes journées de repos.
Mais pas cette année. J’ai profité de chaque jour de mes vacances pour me reposer, pour aller me ressourcer dans la nature, pour sortir avec ma famille, mais surtout pour me retrouver avec moi-même, sans penser au travail.
Jusqu’à ce matin.
Aujourd’hui j’avais décidé qu’il était temps de travailler, alors je me suis mise à mon bureau, et tout ce que j’ai pu faire c’était ranger quelques classeurs, couvrir un livre et écrire 3 titres sur des feuilles. Il y avait quelque chose qui bloquait. Au bout d’une heure, j’ai décidé que je ferais mon boulot quand mon énergie serait plus propice au travail. Et j’ai fait quelque chose que je n’avais pas eu envie de faire depuis très (trop) longtemps : du sport.
J’ai enfilé mes baskets de running longtemps oubliées et je suis partie marcher. Il y avait du vent, un beau soleil de fin de saison, une température idéale.
En marchant et respirant profondément, j’étais heureuse de sentir l’air remplir mes poumons. Quelle chance d’être vivante, libre, en bonne santé, de pouvoir marcher et respirer l’air pur.
Je me suis arrêtée pour observer deux papillons orange et des bourdons qui volaient autour d’un arbuste fleuri. Les papillons ne semblaient pas impressionnés par ma présence, et j’ai pu les regarder de très près. J’étais émue par la beauté de chaque détail, les belles ailes orange tachetées de noir et blanc qui venaient sublimer les chenilles dont les corps transformés étaient encore visibles dans les papillons. Ils ont renouvelé mon espoir de pouvoir bientôt quitter définitivement mon cocon et déployer mes ailes une bonne fois pour toutes.
Métamorphose.
J’ai pensé à la personne que j’étais jusqu’à mes 20 ans, et celle que j’étais de mes 20 ans jusqu’à aujourd’hui. J’ai eu de la compassion pour la jeune femme que j’étais, avec tellement de certitudes erronées et autant de peurs non apaisées. J’ai été fière d’elle et de tous les choix de vie faits, les erreurs commises, les obstacles surmontés qui m’ont permis d’être où je suis aujourd’hui.
Je me suis sentie chanceuse, méritante, courageuse, heureuse, soutenue. J’ai remercié la vie d’avoir mis sur mon chemin les circonstances et les personnes qu’il fallait au moment où il fallait. Le timing de l’univers est parfait.
Remplie d’une énergie agréable, je me suis mise à courir – ce que je n’avais pas fait depuis des années. Ma forme physique ne m’a permis de courir que quelques minutes, mais je me suis sentie bien. Vivante.
Je suis enfin arrivée à « mon » arbre, le saule pleureur qui m’a plusieurs fois vu pleurer. En le regardant de loin, j’avais l’impression de retrouver un vieil ami. J’ai souri. Mes pas se sont naturellement accélérés, j’avais hâte de le revoir, lui montrer comment j’allais mieux, je savais qu’il serait content pour moi. Je l’ai touché, il m’a accueillie, j’étais encore émue. Comme beaucoup d’autres fois, je me suis assise contre lui pour méditer. Après un certain temps, des enfants sont arrivés pour jouer, ils m’ont gentiment dit bonjour et je les ai laissés s’amuser tranquillement (ils avaient l’air de trouver ça très bizarre, ce qu’elle faisait, cette dame). En fin de compte, les arbres n’appartiennent à personne.
En continuant sur mon chemin, j’ai vu un papillon blanc, deux tourterelles sur un fil électrique que les rayons du soleil couchant illuminaient d’une façon magnifique, encore un papillon blanc. En passant devant le cimetière, et j’ai eu une pensée pour ces personnes parties il y a très longtemps ou encore très récemment. Même le cimetière semblait vivant, fleuri, revêtu d’une beauté mélancolique, le cycle de la vie. En pensant à ma propre mortalité, j’ai eu envie de profiter de chaque instant qu’il me reste encore sur cette terre. J’ai assez perdu de temps.
Une fois de retour chez moi, je me suis remise à la peinture en écoutant mes enfants jouer avec leur père dehors, avec ces prises de têtes désormais si habituelles qu’elles sont devenues partie du bonheur de notre famille. J’ai rigolé au même genre de blagues que mon mari me raconte depuis presque 20 ans et qui me font toujours autant rire. J’ai remarqué que les fleurs qui avaient commencé à faner avaient repris un peu de force depuis que j’avais changé l’eau du vase le matin même. Je m’en suis félicitée. J’étais fière de mes enfants en pensant à la discussion philosophique qu’on avait eue au petit déjeuner – j’ai la certitude que laisserai au monde deux petites personnes ouvertes, intègres, authentiques. J’ai fait tout ça, mais je n’ai pas travaillé.
Aujourd’hui, j’ai encore procrastiné. Mais sans culpabiliser, sans angoisser. Car j’étais différente.
Aujourd’hui, j’étais heureuse.