Une petite réflexion sur l’estime de soi des personnes douées et le syndrome de l’imposteur.
Hier, c’était la kermesse de fin d’année de CE2 de ma fille. Si vous ne la connaissez pas, elle est simplement brillante : elle comprend vite, retient sans problème, analyse, apprend tout sans aucune difficulté. Elle est perspicace, belle comme une fleur, drôle, super douée pour les arts… et aussi, elle doute beaucoup d’elle-même.
Donc j’ai pris un grand plaisir pendant sa kermesse à l’observer danser sur la scène, vaincre sa timidité, sa peur de s’exposer devant les autres. Elle a exécuté sa chorégraphie à perfection, avec grâce et enthousiasme, et avec un grand sourire en plus. Je l’ai félicité du mieux que j’ai pu (j’apprends encore à communiquer mon enthousiasme…). J’étais vraiment trop fière d’elle.
Le soir, au moment du coucher, je lui ai dit encore une fois comment elle s’est bien sortie, et que j’étais fière d’elle. Je lui ai aussi demandé si elle était fière d’elle-même.
“- Non, me répond-elle.
– Ah bon ? Tu as tout super bien réussi, comment ça se fait que tu n’es pas fière de toi ?
– Parce que c’était facile !”
Et voilà que j’ai eu un gros déclic !
Je suis très douée pour plein de choses. Je réussis parfois sans effort des choses que la majorité des personnes peinent à faire. Et pourtant mon estime de moi est bien pourrie. Je ne cesse de diminuer l’ampleur de mes accomplissements ; c’est jamais assez bien, je pourrais faire mieux. En plus, si je n’en ai pas chié ma race, c’est que c’est un truc super basique, non ? Je n’ai pas vraiment de mérite là-dedans, n’importe qui pourrait le faire. Les autres ne devraient même pas me complimenter, parce que c’était… facile ?
Approfondissons.
Je reviens au dialogue avec ma fille.
Je lui ai fait remarquer qu’elle n’a peut-être pas eu de mal à faire sa danse, mais que c’était pourtant pas évident, car il fallait gérer plein de choses, surtout son stress d’être devant un public. Elle a ajouté qu’en plus, elle devait porter un panneau à un moment précis, le déplacer, puis reprendre sa place à temps, sans se tromper, et que pendant la répétition elle a failli se tromper de panneau et qu’elle a dû bien se concentrer pour y arriver, et que – ouf ! – elle avait bien réussi le jour J.
Elle me dit tout ça avec une jolie étincelle de fierté dans son regard. 🩷
Bingo !
Je me permets ici à mon tour d’être fière de moi, car j’ai permis à ma fille de réaliser, dans cette situation au moins, qu’elle avait de quoi être fière d’elle-même.
Quand on réussit quelque chose facilement, on a tendance à oublier que ce qu’on a fait, c’est quand même incroyable. C’est facile, n’importe qui pourrait le faire, non ? Euh, non.
Du coup, on se diminue et on ne regarde pas objectivement nos qualités et nos accomplissements. Et voilà toute la contradiction des “overachievers“, des perfectionnistes, les atteints du syndrome de l’imposteur, parfaitement illustré par l’élève qui a troooooooop foiré son interro alors qu’il a eu 18/20 (on a tous eu un camarade comme ça).
L’idée d’effort, de difficulté, est cruciale ici. Il est en effet intéressant de noter que réussir quelque chose qui nous demande beaucoup d’effort nous procure une satisfaction plus importante que de réussir très facilement.
Par exemple, je n’ai pas vraiment d’aptitude sportive (à part peut-être un niveau moyen en ping-pong 😅). Alors je ne vous raconte pas la fierté que j’ai eue, quand pour la première fois de ma vie, à plus de 20 ans, j’ai réussi à courir 2 ou 3 minutes sans m’arrêter. Je ne rigole pas, je dansais de joie, car j’avais toujours cru que je n’arriverais JAMAIS à courir. Bien évidemment, mes performances en course à pied même avec beaucoup de bonne volonté et d’entraînement, ont toujours été du genre croisement de tortue avec paresseux niveau -10, mais il n’empêche que j’étais toujours vachement fière de moi dès que je mettais mes baskets et faisais l’impossible.
Est-ce que pour autant, quelqu’un de super sportif devrait être moins fier et satisfait de lui de faire des 10k, semi ou des marathons, parce que pour lui, c’est beaucoup plus facile que pour moi ?? (Question totalement rhétorique). Absolument pas !!
Si on dézoome vraiment beaucoup et on prend une perspective beaaaaucoup plus large (et c’est là que mes wawasheries entrent en scène), je crois que les enseignements bouddhistes ont raison de dire que les talents que l’on a maintenant ne viennent pas de nulle part, ils sont le fruit des efforts que nous avons effectués dans des vies passées. Rien n’est jamais perdu dans notre flux de conscience éternel ; ni le bon, ni le mauvais.
La graine que tu as plantée et cultivée pendant d’innombrables incarnations précédentes porte des fruits généreux pendant cette vie-ci ? Tu savais jouer du piano comme Mozart à 3 ans ? Alors, bravo pour le travail accompli, tes efforts sont payants, tu l’as bien mérité ! Tu mérites de te féliciter, de recevoir des compliments de toi-même et des autres. Profite, sois fier de ce que tu as réussi. Tu n’es pas illégitime, tu mérites que certaines choses soient faciles pour toi.
Signée : celle qui a réussi du premier coup une agrégation concernant 2 langues qui ne sont pas les siennes, en travaillant à temps complet + heures sup, en révisant toute seule, avec 2 enfants de bas âge, en ayant été hospitalisée pour une chirurgie compliquée, et qui, en voyant les résultats d’admission, a quand même réussi à être déçue de ne pas être classée parmi les 3 premiers lauréats… 🤦♀️